Je publie progressivement ces lignes pour tenter de lever un peu le brouillard entretenu par les services occidentaux de propagande anti - soviétique et anti-communiste à propos de la date anniversaire du 1er août 1944 ... C'est une autre vérité...
Une première constatation : on s' aperçoit déjà qu'il y eut, comme chez tous les autres peuples, 2 camps chez les Juifs , 2 sortes de Juifs, 2 peuples, 2 clans, celui des oppressés et celui des oppresseurs, celui des patriotes et celui des Kollabos, celui qui crevait, qui périssait et celui qui profitait de la situation, de l'occupation, ...
Ce texte met aussi en lumière le rôle des forces communistes et progressistes dans la préparation et l' organisation de la résistance au sein du Ghetto ce qui devait finalement aboutir à l' insurrection que l' on connaît.
RoRo
"A chaque pas on peut rencontrer dans la rue des gens dépourvus de vêtements
et seulement habillés de
manteaux en lambeaux fermés avec des épingles pour cacher l'absence de chemise.
Le problème de
l'habillement devient véritablement dramatique. Les gens vont
quasiment nus".
"On impose aux comités d'immeubles différentes tâches de nature purement
administrative et difficiles à exécuter. Ces tâches consistent à encaisser des taxes et des amendes au
bénéfice des multiples organismes du Judenrat."
On lit encore:
"Ces obligations de caractère administratif
paralysent l'activité des comités d'immeubles,
leur enlèvent leur caractère d'institutions charitables et ne leur permettent pas de se consacrer
uniquement à ce qui fut et qui demeure leur
premier devoir: l'aide efficace aux locataires
de chaque immeuble".
Le
Judenrat alla plus loin: pour combler les vides de son budget, il
frappa les comités de taxes toujours nouvelles.
Aux protestations qui ne
manquaient pas de s'élever, le Judenrat répondait inexorablement par
des taxes plus lourdes, par des arrestations, par la fermeture des portes des
immeubles; il ordonnait les fameuses « parowski » qui entraînaient la
destruction de la literie, de la garde-robe et des logements. Le chroniqueur
du ghetto, Perec Opoczynski, écrit dans son reportage,
La
tragédie d'un comité d'immeuble, la liquidation du Comité du 6 de la rue
Muranow que les maîtres - chanteurs de la « parowska» avaient saigné à
blanc. :
Les comités d'immeubles ne disparurent jamais complètement. Lors de l'action
liquidatrice de l' été 1942, ils agirent énergiquement; ils construisirent des
cachettes; ils engagèrent les locataires à ne pas se rendre sur les places
d'appel où avaient lieu les prélèvements; ils
résistèrent à la police.
Plus
tard, de nombreux comités se transformèrent en foyers auxiliaires de la
résistance: ils
collectèrent des fonds, ils achetèrent des armes.
CHAPITRE III
Il y eut d'abord chez les éléments avancés du ghetto, ce qui les mit sur le
chemin de la résistance et de l'activité clandestine, la volonté de s'intégrer
dans le camp de tous ceux qui combattaient pour se libérer du joug hitlérien,
la volonté de participer à la lutte du peuple polonais pour sa libération et
son indépendance, la volonté de contribuer à l'effort commun entrepris par
l'humanité civilisée pour se débarrasser du fascisme.
Il y eut aussi le besoin de se venger des terreurs et des humiliations
infligées, le besoin de défendre la dignité humaine et l'honneur national
foulés aux pieds par l'envahisseur.
Pour assurer ses justes vengeances, pour sauver son honneur, il n'y avait
qu'un moyen: faire à l'occupant le plus de mal possible. La tâche première, la
tâche principale, était de prendre contact avec la résistance du reste du
pays. C'est bien cela que voulait dire le journal clandestin Morgen
Fraihait (L'Aurore de la
Liberté ') lorsqu'il écrivait le 15 janvier 1942:
Le prolétariat révolutionnaire sait très bien
qu'en enfermant les Juifs dans le ghetto, le
fascisme désirait transformer la classe ouvrière juive en une masse
inapte à la lutte et l'empêcher ainsi de se battre aux côtés du prolétariat
mondial. C'est pourquoi notre devoir est celui du soldat discipliné coupé de
son unité et qui, lorsqu'il se trouve en présence de l'ennemi, n'hésite pas
une seconde non seulement à se défendre mais à attaquer le premier. Nous
déclarons au fascisme que le prolétariat révolutionnaire a été et demeurera
toujours fidèle aux principes de la solidarité internationale.
L'occupant savait qu'il rencontrerait une résistance impitoyable. Il savait
qu'en septembre 1939 les soldats juifs s'étaient vaillamment comportés dans
les rangs de l'armée polonaise. Il savait aussi quel rôle héroïque avaient
joué les ouvriers juifs dans la défense de Varsovie. Il savait quelle avait
été la résistance des Juifs de la petite ville de
Przytyk au temps de
la sanacja et de ses pogroms. Il s'efforça de détruire tout ce qui
pouvait rappeler la tradition patriotique, progressiste et révolutionnaire des
Juifs polonais, leurs luttes menées en commun avec le peuple de Pologne et
leur apport au patrimoine culturel de l'humanité. Il alla jusqu'à changer le
nom de certaines rues: la rue portant le nom de Zamenhof, le créateur de
l'espéranto. devint la rue du Sauvage, la rue portant le nom de
Bez
Maizels, un combattant des insurrections de 1846, 1848, 1863 et 164 devint
la rue des Poules, la rue de la Liberté devint la rue
des Horlogers.
L'occupant redoutait la résistance juive. Il redouta plus encore cette union
dans la lutte qui allait s'établir entre les patriotes enfermés et le reste du
pays. Déjà, en 1939, s'était constitué un groupe de résistance,
les Kots,
composé d'intellectuels polonais et d'intellectuels juifs. La Gestapo eut
connaissance de l'existence de ce groupe. Elle en tira motif pour sévir de
manière sanglante contre les intellectuels juifs et polonais. Les Kots, qui
manquaient d'une base politique nette et qui n'étaient pas liés aux masses,
cessèrent d'exister.
A partir de septembre 1939, des cercles clandestins révolutionnaires se
créèrent au sein de la population juive en correspondance avec des cercles de
même nature existant au sein de la population polonaise. A la même époque
parut le premier numéro du Strzal (Le Coup de feu) : c'était le journal
polycopié de la jeunesse juive et polonaise de l'organisation Spartakus. Cette
organisation assurait la diffusion illégale de sa presse dans l'immeuble
numéro 7 de la rue Elektoralna. Le patriote, polonais Wladislaw Buczynski (Kazik
Dernbiak), qui allait tomber plus tard les armes à la main, assurait la
liaison entre les spartakistes juifs et les spartakistes polonais.
En 1941, les spartakistes du ghetto éditèrent un journal en yiddish, Eaginen
(L'Aurore). Ils purent porter ainsi l'enseignement marxiste dans les plus
larges masses. Puis ils passèrent à l'agitation antifasciste et prosoviétique.
Ils répandirent des mots d'ordre: « A bas l'impérialisme », " « À bas le
fascisme», « Le fascisme allemand c'est l'anéantissement de l'humanité», «
L'U.R.S.S. défend la paix et la justice. ». Ils mirent en garde la population
contre les dangers qui la menaçaient. Ils réalisèrent le front commun avec
l'aile gauche de la jeunesse sioniste du Hashomer Hatzaïr, jusqu'à la création
du Parti Ouvrier Polonais (P.P.R.). Ils furent environ 200 membres agissant
parmi lesquels l'histoire retiendra Roza Rosenfeld, Sophie Jamaïka, Louise
Arbetsmann, Renia Niemiecka, Malgosia Zalesztajn et d'autres encore.
Il y avait à Varsovie une Société des amis de l'U.R.S.S. du côté aryen de la
ville. Il y en eut une dans le ghetto, comptant de nombreux membres et dirigée
par des ouvriers de l'habillement.: Schachné Faingold et Simon Hofman. La
liaison entre les deux sociétés fut assurée par Roman Krasinski, un militant
révolutionnaire polonais, ainsi que par l'étudiante et poète Zosia Zatorska,
fille d'un vieux militant révolutionnaire. Dénoncée en août I940, Zosia
Zatorska fut arrêtée par la Gestapo et fusillée.
La Société des amis de l'U.R.S.S. rayonnait, elle aussi, sur des groupements
de jeunesse et entre autres sur l'aile avancée du Paolé-Sion
(groupement ouvrier socialiste sioniste) .
Il exista d'autres cercles et d'autres groupes: groupes d'enseignants. de
travailleurs divers, de sans-parti, de militants syndicaux de gauche,
d'éléments progressistes, groupes des anciennes jeunesses communistes (KZ.M.P),
groupes communistes. De tous. ces groupes. le plus solidement organisé fut
celui qui s'appela « La Faucille et le Marteau», constitué par des éléments du
K.P.P. (Parti communiste polonais) et dont la base s'étalait sur le terrain
juif et sur le terrain « aryen ». Sur le terrain du ghetto, le groupe fut
dirigé par de vieux militants du K.P.P., ChaimAnkierman et Aron Kohn. Il
publiait le journal clandestin Morgen Frai (Demain libre). Il organisait des
sabotages. Il eut lui aussi le souci constant de ne pas se couper du reste de
la population; il fut en liaison avec les membres du
Hashomer Hatzaïr
qui désiraient agir en vue de l'organisation du front commun.
Agitation contre l'occupant et contre le ]Judenrat, refus d'obtempérer
aux ordres de l'occupant et du ]Judenrat, c'est ainsi que se manifeste, de
septembre I939 à juin I94I une résistance qui ne fut pas toujours très
organisée. Des révoltes eurent lieu
lorsque les autorités opérèrent des
prélèvements de population pour alimenter en bétail humain leurs camps de
travail forcé (Arbeitslager). Dans ces camps, les déportés
travaillaient douze et quatorze heures par jour avec un repos d'une heure pour
manger. Les conditions d'hygiène étaient épouvantables. La nourriture était
insuffisante. Les soins médicaux manquaient. On tuait et on pendait pour rien.
C'était là une entreprise d'extermination du premier degré.
Qui prenait le chemin du camp de travail? N'importe qui était raflé et des
rafles s'abattaient sur le ghetto à intervalles irréguliers mais de manière
précipitée, inattendue. L'occupant ne distinguait jamais entre un Juif et un
autre Juif mais comme il demandait au Judenrat et à sa police juive de
procéder aux désignations, le Judenrat et sa police donnaient à
celles-ci un caractère de classe: ceux qui avaient de l'argent pouvaient
momentanément éviter d'être déportés; ils ne bénéficiaient que d'un simple
sursis.
Le ]Judenrat voulut forcer les comités d'immeubles à fournir les
contingents exigés par les maîtres hitlériens. Les comités d'immeubles
refusèrent d'obéir. Durant presque toute l'année 40 une lutte sourde,
acharnée, opposa les dirigeants antifascistes des comités aux valets de
l'occupant. Les groupes de résistance communistes intervinrent efficacement
dans cette bataille souterraine. Leur influence pénétra jusque dans les camps
de travail. Elle se manifesta surtout toutes les fois. qu'il s'agît de
s'opposer aux prélèvements.
Dans une réunion organisée par le Judenrat qui voulait obtenir que les ordres
concernant le travail obligatoire fussent respectés et exécutés, Szpiro,
président du Comité d'immeuble du 2 de la rue Leszno, fit entendre la
protestation populaire et traita les policiers de gangsters. Il fut
immédiatement arrêté avec d'autres responsables de comités qui l'avaient
approuvé. La masse du ghetto manifesta, exigea la libération de ses
défenseurs. Elle obtint gain de cause.
En mai 1941, nouvelle révolte. Les Juifs raflés se retournèrent contre la
police et il y eut bataille.
Le 22 juin 1941, il en fut de même.
Alors la police allemande intervint, elle aussi, dans les rafles. Cela n'empêcha pas au mois de septembre de la même année les raflés de se jeter sur les deux polices, d'organiser une manifestation et de se, disperser ensuite sans être autrement inquiétés.
En janvier 1942, à la demande de l'occupant, Czerniakov, président du, Judenrat,
frappa la population d'une contribution d'un million et demi de zlotys. La
protestation se fit entendre mais la terreur était allée croissant; certains
présidents de comités d'immeubles faiblirent; la somme exigée fut versée.
L'attitude de tous fut plus résolue dans l'action dite de la fourrure. Le 25
décembre 1941, Auerswald, commissaire du ghetto, ordonna que toutes les
fourrures détenues par les particuliers fussent remises aux autorités. La
peine de mort pour qui ne se soumettrait pas à cet ordre. Des discussions
acharnées eurent lieu au sein des comités d'immeubles. Certains considéraient
que satisfaction au moins partielle devait être donnée à l'exigence de
l'ennemi: il avait été consenti déjà tant de sacrifices matériels qu'on
pouvait consentir à celui-là encore. La majeure partie des militants se dressa
contre cette attitude d'abdication. Les fourrures, les hitlériens les
destinaient à leurs soldats qui combattaient contre l'Armée rouge. Il était
donc du devoir de chacun de ne pas les donner. Après l'expiration du délai
fixé pour leur remise, la possession d'objets de fourrure rendaient leurs
propriétaires passibles de la peine de mort. Qu'à cela ne tienne: que les
fourrures soient brûlées! Et c'est ce que l'on fit. Mais la consigne ne fut
pas observée par tous. Les groupes de résistance incendièrent le baraquement
de la rue Stawki où les autorités avaient entreposé les fourrures qui leur
avaient été remises. Dans leurs rapports mensuels au Gouvernement général de
Cracovie, les autorités du district se plaignirent amèrement: le ramassage des
fourrures, des skis et des chaussures de skis rencontraient une assez grande
résistance à Varsovie: car ce ramassage fut saboté des deux côtés de la
muraille.
Et il y eut, surtout au printemps de 1941, des manifestations de la faim. La
foule attaquait les magasins de luxe, les saccageait, assaillait les
boulangeries du Judenrat, s'emparait du pain et le distribuait aux pauvres et
surtout aux enfants. Ces actions opposaient les manifestants à la police, Il y
eut des blessés de part et d'autre.
La haine montait contre les riches qui se refusaient à aider les réfugiés, les
sans-abri. les affamés. Des groupes se formaient spontanément pour défendre
les pauvres, bloquaient les logements des riches, obligeaient ceux-ci à
abriter les sans-abri et à partager leurs provisions avec eux. A la tête de
ces groupes s'avançaient des hommes décidés au dernier sacrifice, «
incarnation de la juste colère du peuple » selon le mot d'un chroniqueur. L'un
de ces guides, Hochmann, était devenu la terreur des riches, Il fut assassiné
par la police. Il était âgé de 17 ans.
Toutes ces manifestations étaient de caractère spontané; elles se ressentirent
du manque d'organisation. Dans quelques-unes d'entre elles, cependant, on
commençait à sentir l'existence d'une direction. Quelque part au fond du
ghetto, des forces réfléchies se mettaient en place.
Il y avait déjà une presse de gauche dont le rôle sera considérable.
Morgen Frai (Demain libre) était un périodique édité par le groupe
communiste « La Faucille et le Marteau» sous la direction de l'écrivain Jehuda
Feldwurm (Jules Feld). II parut de février à décembre 1941, pour devenir
ensuite quotidien sous le titre Morgen Fraihait (L'Aurore de la Liberté).
Il n'y avait pas encore de Parti communiste organisé. Les moyens financiers
faisaient défaut. Le journal vécut grâce aux sacrifices consentis par les
ouvriers et sous le régime d'une triple oppression: celle des hitlériens,
celle des Juifs du
Judenrat, celle des Polonais
antisémites. Lorsque l'armée de Hitler attaquera l' U.R.S.S., les
communistes éditeront en outre un bulletin quotidien, le Proletariacki Komunikat Radiowy (Le Radio-communiqué
prolétarien). Des exemplaires de ces publications se
trouvent dans la partie des archives Ringelblum qui a pu être
sauvée.
Que trouve-t-on dans la presse révolutionnaire du ghetto? Cette presse disait aux Juifs: nous ne sommes pas seuls dans la lutte entreprise.
"Un, deux,
Un, deux, trois, quatre, des centaines et des milliers de combattants de la Liberté
D'Asie, d'Afrique, d'Amérique et d'Australie, de peau blanche, de peau noire, de peau rouge,
En rangs serrés, géants puissants, se rapprochent de nous.
Comme d'immenses vagues, ils inondent les terres et lavent l' Europe de la peste noire qui la ravage.
De Plus en Plus proches, de plus en plus forts, les accents du chant libérateur nous parviennent.
Ils nous atteignent sous la terre, dans les caves, dans les greniers.
Ils nous encouragent et nous font espérer que le jour n' est pas loin
Où nous aussi tous ensemble nous marcherons en ordre
Le jour où notre voix aussi s'ajoutera à la clameur de tous: Victoire!"
Ce texte parut dans le numéro du 1er mai 1941 de Morgen Frai.
Le 16 juin 1941, Morgen Frai écrivait:
Des événements importants se préparent et qui provoqueront de grands changements. Une nouvelle époque va s'ouvrir. Nous chasserons nos jours actuels comme un cauchemar. De tout notre cœur, nous édifierons un régime basé sur la fraternité et sur l'égalité. C'est à vous, travailleurs intellectuels, que nous adressons notre appel. Unis aux masses, nous construirons notre avenir, nous donnerons au monde une nouvelle règle. |
La première phrase de cet extrait prouve bien que les résistants du ghetto mettaient leur espoir dans l'Union soviétique et dans l'Armée rouge. La chose se constatera mieux dans les livraisons postérieures.
Amour pour l'Union soviétique et son armée. Haine pour l'occupant, haine froide et raisonnée, affranchie de toute crainte, de tout désespoir, de toute résignation. Résistez! Les hitlériens vous traînent vers le travail forcé, n'y allez pas! Les hitlériens se servent du chantage pour obtenir de vous la contribution, ne la donnez pas ! Les hitlériens promettent de libérer 800 otages en échange d' une forte rançon, ne les croyez pas !
Mais ne croyez pas non plus les autres, disaient les feuilles clandestines. Ne croyez pas le Judenrat, les traîtres au peuple, les agents de l'occupant exécré.
Dès le premier jour, les communistes dénoncèrent le
Judenrat
clairement, résolument, comme une façade derrière laquelle les autorités
allemandes édictaient leurs ordres. Il n'en fut pas de même pour les
dirigeants réactionnaires des autres partis qui crurent ou firent
semblant de croire à l' indépendance du Judenrat et qui collaborèrent
avec lui.
Lorsqu'en mars I94I, le Judenrat, par le canal de la Gazeta Zydowska (Le
journal juif) proposa de remplacer les paysans polonais déportés en
Allemagne par des volontaires juifs du travail, les communistes et les
socialistes de gauche déclenchèrent une vigoureuse campagne pour
dénoncer cette politique de collaboration avec l'ennemi.
Morgen Frai
écrivit à cette occasion:
Nous appelons la jeunesse juive à ne pas
trahir les intérêts des masses juives et polonaises dans la lutte
commune qu'elles mènent contre l'ennemi commun. La jeunesse juive qui
vit dans l'espoir de voir un jour la libération de la Pologne doit
laisser la pratique de ces honteuses méthodes de lécheurs de bottes aux
arrivistes du Judenrat qui veulent sauver leur peau au détriment des
masses populaires.
Nous mettons en garde les membres ou ]udenrat : leur jeu ne durera plus
longtemps. Nous réglerons les comptes à IOO %.
Les antifascistes ne polémiquaient guère avec le ]udenrat. Autant polémiquer avec l'ennemi. Mais ils dénonçaient le Judenrat et la police du ghetto et, à travers eux, tous les Quisling du pays.
Nous ne
faisons pas appel à vos sentiments, écrivait Morgen Frai, nous ne vous
demandons pas de nous rendre service. Nous voulons seulement arracher
votre masque d'hypocrisie. Vous êtes nos ennemis. Vous êtes du côté de
nos ennemis mortels. Nous n' éprouvons pour vous que de la répugnance et
du mépris. Vous pensez que tout s'arrangera. Nous vous assurons que
chacun de vos actes sera enregistré avec toute la précision désirable et
qu'aucune preuve ne disparaîtra de votre ignoble comportement. Au jour
du jugement, lorsqu' à genoux vous implorerez la pitié, nous nous
rappellerons tout.
Le peuple du ghetto tout entier pensait ce qu'écrivait le journaliste
clandestin.
Mais les communistes combattaient surtout la politique de trahison du
Judenrat en lui opposant deux mots d'ordre qui devinrent avec le temps
les mots d'ordre de toute la résistance juive.
Le premier mot d'ordre était ainsi formulé: Unité nationale antifasciste
dans la lutte sans merci contre l'ennemi hitlérien.
Ce mot d'ordre fut propagé longtemps avant la première action
antifasciste. En mai 1941, Morgen Frai écrivait:
Le premier mai est un jour de mobilisation. Le premier mai est un jour
de lutte. Le premier mai est le jour de tous ceux qui luttent pour la
liberté et l'égalité, le jour de tous les asservis et de tous les
opprimés. A cette heure, toutes les différences doivent disparaître.
Pour nous, la barricade n'a qu'un seul côté, celui des combattants unis
de la liberté; l'autre côté est celui de nos ennemis et de leurs agents.
Le second mot d'ordre recommandait le renforcement des liens unissant
les Juifs progressistes au mouvement libérateur du peuple polonais; il
recommandait surtout la solidarité qui devait lier entre eux les Juifs
et le peuple de Pologne.
C'est en fonction de ce mot d' ordre que les communistes dénonçaient d'une
manière implacable le caractère de classe de l'antisémitisme et qu'en même temps
ils appelaient les Juifs à se solidariser avec les démocrates polonais en lutte
et à fraterniser avec eux. Cela ne les empêchait pas de se dresser contre les
nationalistes juifs qui ne faisaient aucune distinction entre les antisémites et
le peuple de Pologne. On peut lire ceci dans Je numéro du 20 mars 1943 de
Morgen Fraihait
:
"C'est dans les cercles nationalistes polonais que l'on pense et que
l'on agit en antisémites. Il faut souligner que les nouveaux hommes d' affaires
venus du « milieu », les fraudeurs, les trafiquants, les voyous qui
s'appuient sur l' occupant et qui sont protégés par lui, n'ont jamais été, et ne
sont pas plus aujourd' hui, les représentants du peuple polonais. Les masses
populaires polonaises ne trahissent pas. Les masses polonaises inscrivent en
lettres d' or sur leur drapeau les mots: Liberté, Fraternité, Egalité. C'est
pourquoi ni leurs joies ni leurs deuils ne nous sont indifférents. Leur sort est
entièrement lié au nôtre. Ce ne sont pas les traîtres qui sont torturés dans les
caveaux des prisons, c'est le noble peuple polonais, un peuple de héros et de
martyrs, un peuple combattant pour les droits humains et pour la liberté".
La résistance du ghetto regardait la résistance polonaise et chacun de
ses actes connus était enregistré par les chroniqueurs clandestins. Le Morgen Frai donnait une réponse: se préparer à ce qui va venir, à ce
qui viendra sûrement, se préparer à participer à la lutte générale organisée.
Ainsi un certain nombre d' habitants du ghetto n'acceptaient pas l' état de
choses existant et songeaient à lutter. Comme les patriotes polonais. ils se
posaient la question: Que faire?
Cependant tous les cercles clandestins ne trouvèrent pas cette réponse tout de
suite. Leur indécision est nettement révélée par un texte du journal Gordonia de
la jeunesse socialiste sioniste de gauche: L'article est intitulé : « Que
faut-il faire? »
"A cette question qui nous hante tous, nous ne pouvons hélas! répondre
clairement en ce moment. Peut-être de la douleur des millions de cœurs. des
efforts des milliers de cerveaux naîtra-t-il une pensée, une indication, un mot
d'ordre. En ce moment cependant nous sommes désarmés."
C' est de cette incertitude déchirante que parle aussi un responsable: sioniste - socialiste de la jeunesse qui deviendra plus tard l'un des dirigeants de l' insurrection du ghetto de Bialystok, Mordchaï Tenenbaum, alias Tamarof.
Les dirigeants des sionistes de droite, eux, mettaient en garde la jeunesse contre toute idée de résistance et freinaient tout noble élan de la base. Dans la direction du Bund, dont on évoquera plus loin les luttes intérieures, prédominaient des éléments ayant appartenu au W.R.N.(1). Mais la jeunesse sioniste de gauche et celle du Bund aspiraient à la résistance et à la vengeance. Cela se constate en lisant leur presse clandestine: l' Oïtbroïz, Nowe Tory (Les Voies Nouvelles), Przedwiosnie (Le Printemps), Za wasza i nasza wolnosc (Pour notre et votre liberté). Que faire? se demandait la jeunesse.
1. W.R.N. : (: Liberté, égalité, indépendance , aile droite du parti socialiste polonais. (page 36)
La réponse arriva le 22 juin 1941. C'est
de ce jour que commença pour le ghetto une nouvelle époque.
Dans le discours qu'il prononça le 3 juillet 1941 à la radio de Moscou, Staline
soulignant le caractère international de la guerre contre les envahisseurs
fascistes précisait que l'Armée rouge n'avait pas seulement à défendre la patrie
soviétique mais qu'elle avait aussi la mission de libérer les peuples asservis
et menacés dans leur existence par l'hitlérisme. Staline appelait aussi à la
création d'un mouvement de partisans en Pologne occupée.
Ces points de
son discours eurent un grand retentissement parmi les forces clandestines, qui,
en Pologne et dans les autres pays occupés, aspiraient à la résistance active.
Ils eurent une grande influence sur ceux des habitants du ghetto qui cherchaient
les moyens de leur libération. L'enthousiasme provoqué chez les peuples vaincus
d'Europe par la lutte de l'Union soviétique donna du courage à tous et jeta les
meilleurs dans la lutte; tous les espoirs étaient permis. L'Union soviétique se
trouvait ainsi à la tête du combat pour la libération des peuples.
Les chroniqueurs disent le changement qui s'opéra alors en Pologne.
L'un
d'eux, adversaire déclaré du communisme, écrivit:
.....
C'est. au moment où éclata la guerre germano-soviétique que s'opéra un tournant
décisif dans le comportement de la nation polonaise. Partout la joie commença à
régner. Le peuple entrevit pour la Pologne de nouvelles perspectives, la
possibilité de sortir de l'impasse et de briser la puissance de l'occupant. Une
pauvre femme vivant de la charité publique disait: « Qu'elles tombent enfin,
qu'elles tombent ces bombes destinées aux Allemands; nous les saluerons avec
joie. » Lorsque le premier avion soviétique survola Varsovie, les Varsoviens
(page 37) montèrent sur les balcons les plus hauts et sur les toits des maisons
pour mieux le voir. De larges masses de la population polonaise attendirent
désormais et surtout après la signature du traité d'alliance avec la Russie leur
libération des Allemands par l'Armée rouge. Nous tenons à souligner que la joie
était générale surtout du fait qu'un pacte existait entre la Pologne et l'Union
soviétique.
Un autre chroniqueur du temps de l'occupation, Emmanuel Ringelblum, dépeint avec
force les sentiments de gratitude et d'admiration que le peuple polonais éprouva
pour l'Armée soviétique dès les premières semaines de la guerre.
On raconte différentes belles choses sur les soldats soviétiques capturés par
l'ennemi. Leur attitude suscite chez tous un grand respect. On a retiré leurs
chaussures aux prisonniers de guerre pour montrer ainsi que l'Armée soviétique
est dépourvue du nécessaire. Mais les prisonniers ne se font pas faute de
déclarer que leurs chaussures leur ont été enlevées. J'ai vu la foule polonaise
lancer des cigarettes aux prisonniers qui passaient et qui sont d'une tenue très
digne. Les Allemands font traverser plusieurs fois la ville au même groupe de
prisonniers afin d'impressionner les gens par le nombre considérable de leurs
captifs.
Dans le ghetto une espérance était née.
Lorsque les nouvelles des combats de l'Union soviétique contre l'armée
allemande se répandaient dans le ghetto, raconte un témoin, tous
(page 38)
les musiciens ambulants jouaient des mélodies russes dans les
cours des immeubles.
L'ambiance était réconfortante. Les gens se réjouissaient dans le fond de leur cœur. Ils étaient sûrs que le colosse hitlérien serait abattu. Même lorsque les hitlériens annonçaient le recul des divisions soviétiques, les habitants du ghetto prenaient ces nouvelles pour du bluff et ne les croyaient pas.
.De même que la guerre nationale menée par l'Union soviétique lança dans le combat les masses patriotes des pays occupés, elle stimula les éléments combatifs du ghetto. La terre du ghetto en fut retournée. Le mot du jour fut : Mon garçon, tiens bon la rampe: l'aide arrive. Fin janvier 1942, on connut les succès soviétiques près de Mojaisk. Une chanson circula alors: « Allemands, faites vos valises. Polonais, réjouissez-vous. Juifs, ne craignez plus rien.» Près de Rostov, l'Armée rouge infligea une défaite aux Allemands. Dans le ghetto, on transforma Rostov en Roch-Tow qui signifie en hébreu bon début. Lorsque les Allemands furent battus devant Moscou, un nouveau mot fut sur toutes les bouches: Autodéfense. En même temps que l'admiration pour l'Armée rouge allait croissant, montait l'indignation contre les Alliés qui s'appliquaient à retarder l'ouverture d'un second front.
Un détail à ne pas négliger: le ghetto fut fortement impressionné par le fait que tous les peuples de l'Union soviétique participaient à la grande guerre de libération et par le fait que nombreux étaient les Juifs qui se battaient dans les rangs de l'Armée rouge et dans les formations de partisans. .
A l'automne de 1941, le scout Polonais Heniek apporta de sinistres nouvelles: à Vilna les hitlériens avaient procédé à des massacres massifs de Juifs. Puis l'on apprit (page 39) que d'autres massacres avaient eu lieu à Kolo, à Zychlin, à Sompolno. On apprit qu'à Chelmno les martyrs avaient été étouffés dans des camions à gaz. Les nouvelles des exterminations arrivaient à Varsovie comme des vagues et de deux côtés à la fois: de l' Est, des terres occupées de la Biélorussie et de la région de Lublin; de l' Ouest, du pays dit de la Warta. Il fallait trouver sans plus de délais une réponse à la question: Que faire? La résistance devenait une nécessité. On savait que dans la Biélorussie occidentale, à Nowogrodek, les Juifs s'étaient organisés et avaient attaqué les bandits à la fin de I941. La seule voie juste à suivre était celle de la lutte. A cette seule condition l'espoir était permis. Dans un article intitulé « Quatre cent cinquante mille personnes attendent la mort à Varsovie», Trybuna Chlopska (La Tribune paysanne), organe du Parti Ouvrier Polonais (communiste) (P.P.R.) insistait:
L'exemple de Nowogrodek où la mort de quelques centaines de personnes a sauvé la vie à des milliers d'autres est le seul à suivre.
En Biélorussie occidentale, les Juifs des villages de Nieswiez, de Kleck, de Lachwa s'organisèrent et se défendirent.
Un jour, on apprit qu'à Vilna une organisation unie de la résistance, qui allait constituer comme le modèle du Front national de lutte contre l'occupant, avait été créée et qu'elle était dirigée par le communiste Izchok Witemberg. Les habitants de Vilna éditèrent un appel qu'ils firent parvenir à tous les ghettos: « Organisezvous! Aux armes! Autodéfense! »
A Varsovie, plusieurs cercles s'unirent et fondèrent l'Organisation ouvrière et paysanne de combat (R.Ch.O.B.) qui se fixa les buts suivants: préparation de la résistance et des sabotages, aide aux prisonniers (page 40) de guerre soviétiques évadés, aide aux camarades du ghetto. L' ouvrier tailleur juif Korc, alias Jacob, était membre du Comité varsovien du R.Ch.O.B. dont le comité du ghetto compta entre autres membres le même Korc, Szachne Faingold. Jehouda Feld (Jules), Sewek Nulmann, Iocheweid Binsztock. Les premiers sabotages eurent lieu et allèrent en se multipliant de juin 1941 à janvier 1942.
Un chroniqueur raconte:
"Etant donné qu'il n'y avait pas dans le ghetto de grande industrie, ce furent les ouvriers tailleurs des « shopes » qui organisèrent le sabotage suivant: les uniformes militaires de tout un transport eurent leurs boutons, leurs doublures et leurs manches cousus à l'envers..."
Mais le mouvement demeurait dispersé et les formes d'organisation laissaient à désirer. A l'échelle du ghetto comme à l'échelle du pays, il manquait une force centralisée pour donner une impulsion unique et une même direction, coordonner les activités et les diriger. Cette force apparut au début de janvier 1942 avec la création du Parti Ouvrier Polonais (P.P.R.).
"A ces cercles dispersés,
a dit Boleslaw Bierut dans le rapport présenté le 15 décembre 1948 au Congrès du Parti polonais ouvrier unifié, il manquait cependant une direction unie et un programme politique clair. Ces groupes furent unis et pourvus d'une ligne d'action par le Parti ouvrier polonais créé en janvier 1942 et qui donna à son programme les bases du marxisme-léninisme. Le P.P.R. s'est mis à la (page 41) tête du combat national de libération des masses polonaises contre l'envahisseur allemand".Cet événement d'une importance considérable dans l'histoire de la Pologne occupée ne sera pas sans influence sur le ghetto lui-même où les formes à donner à la volonté de résistance finiront par être déterminées (page 42).
CHAPITRE IV
La création du Parti Ouvrier Polonais (P.P.R.) en janvier I942 constitua un
fait décisif dans l'histoire de la résistance en Pologne occupée. Un Parti
apparaît enfin qui tient un langage inconnu jusqu'ici sous l'occupation, le
premier parti qui entreprend une lutte armée résolue contre l'occupant. Pour ce
parti, libération nationale et libération sociale, d'une part,
et
confiance en la victoire de l'Union soviétique, d'autre part, étaient
choses qui ne pouvaient se dissocier.
Dans l'appel lancé dès sa création par le P.P.R., la réponse à la question: Que
faire? était enfin donnée.
Que faire? Se jeter sans plus tarder dans la lutte armée, opérer des actions de
diversion et de sabotage, s'opposer au contingentement des denrées, constituer
des
maquis, se préparer et préparer la nation à l'insurrection armée.
Que faire? Lutter implacablement contre l'ennemi, contre l'envahisseur, lutter
implacablement contre la trahison, contre la collaboration.
Que faire? Créer un Front national de lutte, unir toutes les forces de la nation
contre l'occupant.
Que faire? Donner comme base à ce Front national de lutte une classe ouvrière
unie. (page 43)
L'appel du P.P.R. montrait pour finir ce que serait la nouvelle Pologne. une
Pologne sans le fascisme, sans gros propriétaires fonciers, sans camps de
concentration,
sans misère ni chômage, une Pologne des libertés et de la justice sociale, une
Pologne alliée à l'Union soviétique. Que tous les peuples épris de liberté
s'unissent
dans leur lutte contre l'hitlérisme et qu'ils restent unis dans la période
d'après-guerre pour mener à bien les tâches de la paix!
Le P.P.R. a le souci de faire entrer dans la lutte les plus larges masses de la
nation. En août 1942, il est créé un Comité dit du Don national et qui émet des
obligations : l'argent collecté servira à armer les détachements de partisans, à
soigner les blessés, à venir en aide aux familles des patriotes tués. Cette
souscription est accueillie avec enthousiasme dans le pays. Elle connait un
succès tel que le commandant en chef des Forces armées polonaises (P.S.Z.) et le
représentant en Pologne du Gouvernement polonais de Londres mettent étrangement
la population en garde en laissant entendre qu'il est fait mauvais usage de
l'argent qu'elle remet aux communistes.
Une campagne est engagée pour exiger l'ouverture d'un second front qui aiderait
à mettre une fin rapide à la guerre, aux souffrances, aux tueries.
Une vaste action de solidarité se développe en faveur des prisonniers
soviétiques évadés et des juifs internés dans les ghettos.
Pour mener la lutte à main armée, le P.P.R. crée la Garde populaire (Gwardi
Ludowa) et met en place des Comités nationaux de lutte.
La lutte alors grandit comme une flamme.
Les rapports de la section anticommuniste de la Délégation en Pologne du
gouvernement polonais de Londres aussi bien que ceux du Gouvernement général en
portent témoignage: à la propagande chuchotée des années
(page 44) 40 et
41 succèdent, dès février 1942, les actions de guerre, cependant que se fait
plus évidente la résistance passive de l' ensemble de la population. Hummel,
adjoint du gouverneur Fischer, note en mai 1942 que l'action de la résistance
polonaise augmente de jour en jour; il signale l' existence dans les différentes
régions du district de
«bandes bolchéviks» qui se livrent à des
attentats sur la Garde paysanne. nom donné alors à la gendarmerie; signale aussi
que des « partisans » ont été découverts. Ces partisans étaient des prisonniers
soviétiques évadés; ces bandes bolchéviks étaient des formations de la Garde
populaire, les uns et les autres agissant de concert. Les mêmes rapports portent
l'accent sur deux faits: un changement radical s'est opéré dans le comportement
les masses polonaises vis-à-vis de l'occupant: ce sont :
«les agents communistes»
(lisez les membres du P.P.R.) qui entraînent les plus larges masses de
la nation dans la lutte directe et immédiate contre l'occupant.
Sous les pieds de celui-ci, la terre commençait à trembler. Si l'on considère
que la Pologne devait fournir au Grand Reich d'immenses quantités de matières
premières et de produits alimentaires ainsi qu'une main - d' œuvre considérable;
si l'on çonsidère que la Pologne était le passage obligé des transports qui
menaient d'Allemagne au front oriental. on conviendra qu'une Pologne dressée
dans la résistance ne pouvait donner aux hitlériens que des sujets d'inquiétude.
André Szmidt
avait été parachuté d' Union soviétique en Pologne occupée pour participer à
l'organisation de la lutte contre les hitlériens. En janvier 1942, chargé de
mission par le Comité central du P.P.R., il pénétrait dans le ghetto et y
faisait connaître l' appel du nouveau parti. Son arrivée fut connue et les
éléments antihitlériens s'intéressèrent à lui et à sa mission. Dans les milieux
clandestins, le P.P.R. devint vite populaire. Les groupes (page 45)
révolutionnaires déjà existants, « La Faucille et. le Marteau», la Société des
amis de l'U.R.S.S., Spartakus,
le R.Ch.O.B., tous les anciens militants
des vieilles organisations démocratiques, facilitèrent le travail d'André
Szmidt. L'appel, traduit en yiddisch et publié dans le numéro 217 de
Morgen
Fraihait (10 mars 1942), ne pouvait pas ne pas toucher tout habitant honnête
du
ghetto et à plus forte raison tous ceux qui étaient décidés a se battre. N'y
avait-il pas dans cet appel une véhémente protestation contre la création des
ghettos? N'y insistait-on pas sur les droits de citoyenneté des Juifs en
Pologne? N' y conviait-on pas les gens à cette lutte immédiate tant attendue par
les résistants du ghetto? Et l' assurance n' était-elle pas donnée que si la
lutte était menée pour libérer la nation polonaise, elle l'était aussi pour
qu' il n'existât plus de ghettos, plus de camps de concentration, et pour
l'établissement d'un régime qui ne connaîtrait plus d'oppression d'ordre
national ou social?
Le groupe du Morgen Fraihait estima, « étant donné la création du P.P.R. qui groupe dans ses rangs toutes les forces vives de la nation pour la lutte contre le fascisme hitlérien et pour une Pologne libre», que sa mission était accomplie et qu'il pouvait cesser de paraître. Nous demandons à tous nos membres et sympathisants. lit-on, dans une ultime déclaration, de se grouper dans les rangs du P.P.R. et de participer activement à toutes les activités, à toutes les luttes de ce parti.
À la place du Morgen Fraihait, parurent les journaux de la section du ghetto du P.P.R. : Zum Kampf (Au Combat), rédigé par Joseph Lewartowski, Édouard Fondaminski et Jehuda Feld, Einkait (Unité), Founk (L' Étincelle) , Hammer (Le Marteau) et d' autres encore dont les titres rappelaient la tradition de combat des ouvriers juifs. (page 46). Avec André Szmidt, le Comité central du P.P.R. avait. détaché dans le ghetto Joseph Lewartowski, de son vrai nom Finkelstein et connu dans le ghetto sous cet autre nom de Joseph Stary, avait été membre du Comité central de l'ancien Parti communiste polonais. Il avait fait dix années de prison. Né en 1895 à Biala Podlaska, dans la voïvodie de Bialystok, il possédait une riche expérience politique. La vie clandestine n'avait pas de secrets pour lui. Délégué du Comité central, il devint vite le guide, le père spirituel, l'organisateur de la résistance dans le ghetto. Son immense mérite fut de savoir unir en un même faisceau toutes les forces aptes à la lutte.
André Szmidt, appelé aussi Piotr Kerski ou Pinchas Kartin, connu par tous comme
étant le « parachutiste légendaire », avait été désigné pour commander la Garde
populaire du ghetto. Il avait surtout à s'occuper des questions militaires,
D'esprit combatif, il avait pour lui son expérience de la guerre d' Espagne où
il avait servi dans les rangs de la brigade Dombrowski. Il était né en 1912. Il
avait fait des études de chimiste en France et était de son métier
radiotélégraphiste. Il connaissait bien la science marxiste-léniniste.
Autour de ces figures centrales, il faut placer d' anciens militants du Parti
communiste polonais et des jeunes: Adam Meretik (Samuel Zimmerman), responsable
à l'organisation, Edouard Fondaminski (Stefan) Szachné Faingold, Jacob Dreier
(Kuba), David Wlosko (Tadek), militant de la jeunesse, responsable des questions
techniques. C'étaient là les responsables du Comité local du P.P.R. dont les
membres dirigeants étaient Lewartowski, Szmidt et Meretik. Ceux-ci se
réunissaient le plus souvent dans le logement d'une militante, Dora Blatman, 10,
rue Ogrodowa.
Il fallait réaliser l'union de tous les cercles révolutionnaires existant et
cela fut fait. Il fallait aussi donner une base solide au Parti (page
47).
Pour le P.P .R. la base principale de la résistanœ était la défense des intérêts
des ouvriers. Toute revendication de caractère économique ayant toujours un
caractère politique, toute exigence ouvrière était un coup porté au régime
hitlérien. Des syndicats illégaux furent constitués et des grèves furent
déclenchées dans les « shopes »
où les industriels allemands, souvent membres des S.S., avaient des adjoints
juifs et polonais. Les directeurs juifs essayaient de faire prévaloir l'
argument selon lequel les
manifestations ouvrières seraient cause de malheur pour le ghetto tout entier.
Le Judenrat créa un service spécial de mouchardage à la tête duquel il plaça un
certain Bem.
Ces précautions n' empêchèrent rien: les grèves eurent lieu. La première fut organisée par Joël Borenstein dans les ateliers de couture. Elle fut férocement réprimée; des grévistes furent arrêtés et exécutés dans la prison de Pawiak. Il y eut ensuite, sous la direction du communiste Jacob Glasmann, la grève des ouvriers cordonniers qui, malgré une tentative de diversion de Bem, se termina par une victoire. La grève la plus importante fut celle des cent ouvriers menuisiers d'une usine se trouvant 55, rue Nowolipki. Dirigée par le communiste Joseph, elle dura quatre jours et les grévistes eurent gain de cause. Des mouvements revendicatifs eurent lieu dans d'autres entreprises et, entre autres, dans les brosseries.
Une grève eut lieu dans les hôpitaux à laquelle prirent part 120 personnes que
conduisaient l'infirmière W., la doctoresse K. et la femme de ménage Ch.
(l'infirmière
Dora Wainermann, qui a décrit cet événement dont elle fut le témoin, ne donne
dans ses mémoires que des initiales pour des raisons probables de sécurité).
À agir ainsi, le P.P.R. devint vite populaire; il fut vite à la tête de tout le
mouvement clandestin du ghetto. Son incessante activité fut soulignée par l'un
des responsables des socialistes polonais Lilka, (Szczygielski) dans le rapport
sur le "quartier juif" qui peut être consulté (page 48)
dans les archives de l'Institut juif d'histoire, à la rubrique: « Matériaux du Bund ».
Grâce à Lewartowski, en mars 1942 fut créé le Bloc antifasciste de lutte d'où allait sortir plus tard l' Organisation juive de combat. Au printemps 1942, la situation était presque désespérée. Les organisations politiques clandestines étaient divisées: elles s' entre-déchiraient. Leurs membres étaient découragés et minés par l' inertie et le sentiment de leur impuissance. Et voici qu'un bloc se constituait. Au P.P.R. se joignaient les éléments unitaires de gauche, des groupes du Haschomer Hatzaïr, du Poale Sion, du Dror (Dror : groupement ouvrier sioniste de gauche.).
Un témoin raconte ce que fut l'une des réunions au cours desquelles les représentants des groupes et des partis s'efforçaient de s'entendre. Ce fut une rencontre étonnante. La méfiance régnait. Une rencontre dure mais fructueuse, la première à avoir des résultats concrets et le mérite en revient à Lewartowski. Celui-ci n' usait pas d'effets oratoires; il parlait doucement. on l' entendait à peine; son visage ne trahissait rien de ses sentiments. Mais ce calme, cette maîtrise exemplaire acquis durant les années d'emprisonnement exerçaient un charme étonnant. Chacune de ses paroles, prononcée sans passion, entrait avec force dans les esprits. Avant tout il convainquait. Ses principes devenaient les nôtres. Nos opinions, disait-il, nous divisent, le passé nous divise; nous lutterons pour nos idées dans l'avenir si nous survivons; mais dans la réalité d'aujourd'hui tout nous unit : l'assassinat collectif nous guette tous; le même but nous unit: la lutte et la résistance ( page 49).Ce fut si simple. si clair. Et tout cela se révéla vrai plus tard. .On avait essayé de faire adhérer le Bund au Bloc antifasciste et on avait rencontré d' énormes difficultés. Dans les archives de Varsovie, se trouve un document curieux, des lambeaux du procès-verbal de la rencontre des délégués du Bloc antifasciste avec des dirigeants du Bund. Cette rencontre eut lieu en mars I942 au numéro 2 de la rue Orla. Un rapport fut fait sur la situation créée par l'existence d'un front uni de lutte. A la suite de ce rapport, les représentants de droite du Bund n'eurent aucune réaction favorable. Ils demeurèrent sur leurs anciennes positions. Ils finirent par déclarer par la bouche de Maurice Orzech que selon eux il ne fallait rien faire du tout. Tenenbaum, qui était présent à cette réunion, confirme tout cela dans sa « Lettre aux camarades» et il précise qu' Orzech s'exprima ainsi: « Dans la situation actuelle la seule tâche qui soit à recommander, c'est de résister moralement. » Le Bund était divisé en deux courants qui s'étaient formés sous l'influence de la lutte héroïque de l'Union soviétique et de la création du P.P.R. Il y avait une droite antisoviétique qui calquait son activité sur celle du W.R.N. et qui était liée à celui-ci. Elle avait à sa tête Maurice Orzech et Bernard Goldstein, deux ennemis acharnés de l' U.R.S.S. Il y avait une gauche liée au groupe « la Barricade de la Liberté» et favorable à la constitution d'un front uni avec le P.P.R. : Léon Fainer et Abram Blum la dirigeaient. L' aile droite du Bund, imitant en cela le W.R.N., se donna le nom prétentieux de « Direction du mouvement des masses travailleuses juives». Elle diffusait dans le ghetto les consignes du gouvernement de Londres et de sa délégation en Pologne et qui peuvent ainsi se résumer: arme au pied et autodéfense morale. Les tenants (page 50) de cette tendance réactionnaire étaient opposés à toute résistance active immédiate et, par voie de conséquence, à toute idée de Bloc antifasciste et de Front national. Les jeunes du Bund eurent à discuter des événements tragiques survenus sur les terres polonaises: dans la région de Lublin avait eu lieu la première déportation vers les camps de la mort. La résolution adoptée fut publiée dans le journal Zukunft en mars 1942. En voici la conclusion :
L'appel à la résistance active que font
aujourd'hui certains groupes irresponsables
n'est qu'un appel au suicide. Nous crions au
contraire: Soyez dignes dans votre attitude.
Mais de telles prises de position n'étaient pas sans
provoquer de discussions dans les rangs du Bund. On
en voit la preuve dans les procès-verbaux publiés par
Zukunft
pour la période allant du 8 janvier au 27 juin
1942. L'opposition à la ligne politique imposée par la
droite grandissait sans cesse. Elle se manifesta surtout
lorsqu'il s'agit de déterminer si le Bund allait être une
organisation aux cadres rétrécis ou devenir un large mouvement de masse, s'il fallait se résigner à attendre
ou s'il fallait agir.
La gauche prit nettement position contre la majorité
de droite de la direction. Dans sa lettre adressée au
Comité central du Bund le 10 janvier 1942, le responsable de la tendance, Joseph Gorecki (Léon Fainer)
écrivait :
Il faut en finir avec les tromperies et les
dérobades, les perfidies et les prétentions. Il
faut en finir avec cette sinistre comédie néfaste
et indigne de nous.
Dans une seconde lettre du 12 janvier, Fainer demande
au Bund d'adopter enfin une attitude résolue en face (page 51)
des tâches considérables du moment. Fainer séjourne
dans la partie « aryenne de Varsovie. Il s'exprime en
langage convenu.
Cette situation malsaine, écrit-il amèrement,
ne peut être acceptée plus longtemps. Il faut y
mettre fin... Il faut se soucier uniquement de
toute la famille et de ses intérêts supérieurs...
Il faut vouloir agir, dit encore Fainer, il faut établir
un programme d'action, constituer un front commun
de lutte et se jeter dans la résistance active. Fainer met
au premier plan le bien de la «famille", c'est-à-dire
de la nation, de la patrie. Il critique sévèrement la
politique opportuniste de ses « frères" :
Tout cela paraît inconcevable quoique extraordinairement clair, brutal et simple. Cela est
surtout infiniment triste. Il est vraiment triste
d'être obligé d'expliquer des choses si simples
et connues et acceptées par la généralité des
gens.
La majorité du Comité central du Bund répondit en
privant Fainer de toute responsabilité et en l'écartant
de toute activité. Ce ne sera qu'après la première extermination que Fainer
pourra prendre la direction de l'organisation et qu'avec Blum, il la fera entrer dans l'Organisation juive de combat.
Les sionistes généraux, qui se situaient à droite, eux
aussi. refusèrent d'adhérer au Bloc antifasciste. A cette
réunion constitutive qui eut lieu en avril 1942, le représentant des sionistes généraux Menachem Kirszenbaum,
définit ainsi l'état d'esprit des siens :
Ne jouons pas avec le feu. N'amenons pas
nous-mêmes le malheur. Ce que les hitlériens
se sont permis de faire dans d'autres localités, (page 52)
dans les localités soviétiques, ils n'oseront pas l'entreprendre
à Varsovie, au cœur de l'Europe.
Le Bloc antifasciste organisait des groupes de combat composés de cinq membres qu'on exerçait au tir, à la manipulation des explosifs et des mines et à qui l'on apprenait aussi les soins à donner aux blessés. Ces groupes, placés sous la direction de Szmidt, dépendaient de la Garde populaire. Szmidt s'occupait des cadres qu'il formait aussi idéologiquement. Parmi ses meilleurs élèves se trouvèrent Joseph Kaplan, Jurek Wilner, Samuel Breslaw et surtout Mordechai Anielewicz (Aniolek) de l' Haschomer Hatzaïr. Celui-ci était un enfant de la misère sorti du quartier lépreux de Varsovie - Powisle. Avant la guerre, il avait fait partie, avec de jeunes commu nistes et des jeunes du Haschomer Hatzaïr, d'un groupe constitué pour répondre aux attaques des voyous antisémites. Avec Kaplan, il était en contact permanent avec Lewartowski. Dans des conférences, on faisait connaitre à tous ces jeunes combattants les héros du mouvement ouvrier: Hirsch Lekert, Baruch Szulman, Neftali Botwin.
Un nouvel esprit régna dans le ghetto.
Des mots d'ordre jusqu'ici inconnus circulèrent: "A bas les "shopes". A la place de montres, fabriquons des grenades.
Des chansons révolutionnaires remplacèrent les lamentations des mendiants.
Des officiers polonais blessés purent s'évader de l'hôpital juif où ils se trouvaient pratiquement emprisonnés.
Les femmes antifascistes juives parvinrent à se mettre en relation avec des prisonniers de guerre soviétiques, commissaires politiques de l'Année rouge, enfermés dans la prison de Pawiak; elles organisèrent et réussirent des évasions.(page 53)
Le journal du Bloc antifasciste parut: Der Ruf ( L' Appel).
Ce journal de combat ne sortit que trois fois. Seul le premier numéro en a été conservé. II peut être consulté à l'Institut juif d'histoire de Varsovie. Il contient le programme du Bloc antifasciste, programme de lutte à. mener solidairement avec tout le camp antifasciste de la Pologne résistante. Il était dit dans ce programme :
La libération des masses populaires sera la conséquence de la victoire de l'Année rouge et de toutes les forces qui participent à la lutte contre le fascisme.
Dans le ghetto, les Juifs luttent non seulement pour la défense de leurs droits, de leur honneur, de leur vie, non seulement pour leur libération, rnais aussi pour l'indépendance du pays et pour une Pologne nouvelle, «une Pologne forte, indépendante et libre". Il était fait ainsi le procès des antisémites et des réactionnaires polonais, d'une part, et celui des nationalistes juifs, des fanatiques du ghetto, d'autre part.
Der Rut élargit l'horizon des habitants du ghetto. Il décrivit pour eux les luttes de l'Armée rouge et celles des patriotes des pays occupés, de la France, de la Hollande, de la Belgique, de là Norvège. Il répandit la foi dans la victoire de l'Armée soviétique.
Nous sommes à la veille de grands événements et de batailles décisives; Tout au long de l'hiver, l'Armée rouge a lancé d'incessantes offensives et a obligé l'ennemi à évacuer une grande partie des territoires occupés par lui; elle lui a porté des coups puissants; elle a réduit ses plans à néant et l'a obligé à engager toutes ses forces. Avec ses réserves bien entraînées et bien équipées, elle est prête à continuer l'offensive ( page 54). L' industrie soviétique travaille sans répit. Le mouvement des partisans s' intensifie sans cesse; les sabotages se multiplient.
En Pologne
Vilna, Slonim, Baranowicze, Chelmno, Lwow, Lublin, et des dizaines d' autres villes sont marquées du sang juif que font couler les assassins hitlériens.
Mais, le
s masses juives n' ont pas Ie droit de se laisser aller au désespoir et à la résignation. Elle doivent mobiliser toutes leurs forces et participer à Ia lutte antifasciste que mènent les peuples persécutés. Elles doivent, elles aussi, prendre part à la Iutte armée sur les arrières de l' ennemi, opérer des sabotages et des destructions. Dans cette compétition des peuples asservis, les masses juives doivent, par leur lutte active, occuper une place d' honneur .Certes, ces masses ont pris conscience de la nécessite de cette lutte, mais il existe encore des Juifs qui ne comptent que sur Ie miracle, et dont Ie mot d' ordre est d' attendre. Ceux-Ià ne se rendent pas compte que seule la lutte mène à la libération et à la liberté . lIs n' ont pas encore compris que la situation exige l' union de toutes les forces, que la tâche immédiate consiste dans la constitution du front national de libération.
L'appel du Bloc antifasciste « Aux masses juives du ghetto» du 15 mai 1942 se terminait ainsi :
Masses populaires
juives, ouvriers juifs,
intellectuels
juifs, jeunesse
juive,
groupez
vos forces,
(page 56) entrez dans la lutte. Comme un seul homme, participez au front uni de lutte
contre le fascisme.
Le premier numéro de Der Rut porte lui aussi la date du 15 mai I942. Le même
jour, la Direction générale de la Garde populaire lançait à ses unités son
ordre de démarrage et les premiers groupes du ghetto mobilisés et formés par
le Bloc antifasciste gagnaient les forêts. Cela démontre bien que la
résistance du ghetto n'a pas été le fruit du désespoir, que cette résistance
s'était normalement intégrée dans l'ensemble de la résistance polonaise
bien avant la grande vague d'extermination.
Cet ordre du 15 mai lancé par la Garde populaire atteste l'existence d'une
résistance enfin organisée. Jusqu'à cette date n' avaient existé que des
groupements épars et n' avaient eu lieu que des actions spontanées et
sporadiques. L'activité elle-même de la Garde populaire avait consisté dans
la préparation de la lutte armée: formation des cadres et constitution de
dépôts d'armes. Dans le ghetto. où les dépôts d'armes étaient encore peu
considérables, où les cadres étaient peu nombreux, l'ordre du 15 mai
suscita cependant un grand enthousiasme dans les milieux clandestins.
Les nouvelles qui arrivaient à l'intérieur de la muraille étaient d'ailleurs
encourageantes.
Près de Varsovie, un militant ouvrier juif avait été arrêté. Des ouvriers
polonais, membres du P.P.R., avaient organisé une sortie armée et libéré
leur camarade juif. Il y avait là la preuve que le P.P.R. conformait ses
actes à ses paroles et que son aide était non seulement d'ordre moral et
politique, mais aussi de caractère pratique.
A la même époque, on apprenait que sur les murs de Varsovie, et plus
particulièrement rue Pulawska, des (page 57)
appels en langue allemande avaient été apposés. Ces appels se terminaient
ainsi: « Nieder mit dem Faschismus! Es lebe die internationale Solidarität !
» (A bas le fascisme ! Vive la solidarité internationale ! ). Ainsi chez les
Allemands, les forces de progrès, les forces opposées à Hitler et fidèles aux
principes de l'internationalisme prolétarien, existaient et agissaient.
C'est à la fin de mai que parvint la nouvelle de l'attentat accompli le 27
du même mois par les résistants tchèques contre Heydrich, « protecteur» de
la Bohême, le même Heydrich qui avait signé la fameuse instruction
condamnant le peuple juif à la mort. Abraham Lewin, l'un des chroniqueurs du
ghetto, écrivit alors:
Les journaux allemands de ces jours-ci ont remonté mon moral. Le maître
bourreau, le grand inquisiteur des Tchèques, a péri. Le coup de feu de deux
héros n'aura pas été vain. Il se peut que l'attentat contre Heydrich et sa
mort soient un signal et un appel à l'insurrection des peuples d' Europe
contre la tyrannie hitlérienne.
Il n'est pas exagéré d'affirmer que la résistance tchèque a contribué à
raffermir la volonté de combat des résistants du ghetto. Ceux-ci ne
pouvaient aussi que se trouver encouragés et stimulés par la connaissance
qu'ils avaient de l'existence à Varsovie d'antifascistes allemands.
Cette atmosphère de résistance et de lutte ne pouvait laisser indifférents
les cercles polonais de Londres. L'organe du Z.W.Z. (1), Biuletyn
lnformacyjny (Le Bulletin d'information), devait reconnaître dans son numéro
du (page 58)
l. Z.W.Z. : Organisation militaire de la délégation réactionnaire de
Londres; prendra par la suite le nom d'Armia Krajowa, Armée Intérieure
(A.K.).
7 mai 1942 que la résistance de la
Garde populaire et des prisonniers de guerre soviétiques évadés jouissaient
de la sympathie et de l'appui de la population. Mais cela n'était pas du
goût du Z.W.Z. Le Bulletin d'information ne cessa de mettre en garde ses
lecteurs contre les appels qui invitaient les Polonais à la résistance
active. Le ghetto avait, lui aussi, à subir cette propagande. Dès les années
40 et 41, la direction du Z.W.Z. s'était servie d'un officier de réserve
nommé Michel Zylberberg pour essayer de constituer des groupes d'anciens
officiers et d'anciens combattants juifs de l'armée régulière. Ces groupes
constituaient avec les sionistes révisionnistes et une poignée d'anciens
partisans de Pilsudski la base du Z.W.Z. dans le ghetto. En 1942, pour
contrebattre l'influence « néfaste» de la Garde populaire et du P.P.R., la
direction du Z.W.Z. lança des émissions en direction du « quartier juif».
Ces émissions contenaient les mots d'ordre des Polonais de Londres: se tenir
l'arme au pied, attendre, résister moralement, « psychiquement », et elles
prêchaient l'antisoviétisme.
L'action du Z.W.Z. se fit plus vive au début de l'année 1942, au moment où
commença à se manifester le P.P.R. et où était entreprise l'action pour la
création d'un front national uni de combat. En janvier parut le premier
numéro du journal clandestin Zagiew, porte
parole de la réaction londonienne. Zagiew
opposa à l'idée de la résistance active le mot d'ordre de la « maîtrise
morale et raisonnée de nos faiblesses
». Sous le couvert d'une phraséologie patriotarde, il attaqua
tous ceux qui étaient partisans de s'organiser et de se battre et répandit
les habituelles calomnies antisoviétiques. Le numéro du 5 mai 1942 essaie de
combattre l'effet du célèbre appel lancé par la Garde populaire:
Cette action (préconisée par la
Garde populaire. J.N.) ne peut se justifier militairement
(page 59) parlant, étant donné le grand éloignement du front; quant à l'activité
des maquis, la situation, qui n'est pas encore mûre, ne la permet
pas. Or, vu la méthode de la responsabilité collective appliquée par les
Allemands, la population polonaise, déjà durement touchée par la guerre, aura à
supporter les conséquences de cette activité des maquis dont les résultats sont
pourtant dérisoires.
Zagiew s'employait, il faut le dire, à démasquer les agents de la Gestapo.
Il reste toutefois que son influence fut faible sur les masses du ghetto.
Cela ne change d'ailleurs rien au fait qu'il s'opposait à toute idée de
résistance active. Pour les condamnés du ghetto, cette résistance devenait
une nécessité toujours plus pressante et qui découlait non seulement de leur
volonté propre mais aussi de la situation qui avait été nouvellement créée.
Cette situation devenait de plus en plus angoissante.
L'occupant se rendait compte du danger que représentait pour lui une
résistance organisée. Une vague de terreur déferla sur Varsovie, sur les
régions de Radom et de Kielce où la: Garde populaire marquait sa présence.
L'ennemi songeait surtout à frapper le P.P.R., le Parti socialiste, le R.Ch.O.B.
En décembre 1941, 450 arrestations ont lieu qui font 450 victimes. Des
dépôts d'armes sont découverts. En janvier, en février I942, dans les
régions de Radom, de Kielce, de Varsovie, de Rzeszow, arrestations massives
encore, et qui à Varsovie, touchent plus particulièrement les ouvriers de
l' industrie et les travailleurs des tramways.
La classe ouvrière et les patriotes ripostent en multipliant leurs actions
de guerre. Le P.P.R. étend son influence. Les premiers comités nationaux de
lutte se créent. (page 60)
Le 28 mai, un coup douloureux est porté à la
résistance à Pawiak : 218 prisonniers politiques sont fusillés. Le 3 juin,
I6 nouvelles exécutions sont perpétrées dans la même prison. Dans la région
de. Lublin, les S.S. organisent des expéditions punitives et fusillent des
centaines de patriotes.
Le ghetto n'est pas épargné: il est un secteur du front commun de combat. Au
sujet de cette terreur accrue, un témoin oculaire écrit :
On dit que ce sont là des représailles contre le fait qu'un mouvement de
résistance existe dans le ghetto, qu'un grand nombre de journaux
arrivent à paraître clandestinement, contre le fait que les Juifs
s'intéressent à la politique et qu' ils croient à la défaite de Hitler...
Du 15 décembre I941, date à laquelle la prison du ghetto Gesiowka a été le
théâtre d'exécutions massives, jusqu'à la grande action liquidatrice du 22
juillet 1942, la terreur s' installe en permanence à l'intérieur de la
muraille et cette terreur est la même que celle qui sévit dans le pays tout
entier. L'ennemi procède aux premières déportations de Juifs dans les camps
de la mort. Parmi les déportés se trouvent d'abord ceux qui ont préparé et
organisé des grèves ou qui y ont pris part.
Ainsi en est-il à Chelmno en décembre I94I, à Lublin en mars I942.
Le mouchardage sévit. Les ghettos de Czéstochowa, de Kielce, de
Cracovie, de Tamow, de Radom, d'Ostrowiec ont à supporter de dures actions «
pacificatrices » . Sont surtout arrêtés et liquidés les militants
communistes, les amis de l'Union soviétique, les résistants. Pour
l'ennemi, il s'agit de répondre à l'activité croissante des éléments
antifascistes et de préparer les actions liquidatrices par l'anéantissement
de tous les éléments capables d'organiser une résistance à ces actions.
(page 61)
Dans le ghetto de Varsovie, la vague de terreur atteignit son point
culminant dans la nuit du 17 au 18 avril. Cinquante-deux personnes
furent exécutées d'un coup de feu dans la nuque. Les cadavres furent laissés
longtemps devant les maisons. Parmi les victimes se trouvaient des militants
de la résistance, des collaborateurs des archives clandestines du ghetto,
des personnes qui aidaient financièrement la presse clandestine, les
imprimeurs Cukierman, Szon, Szklar, le boulanger Blauman qui ravitaillait la
résistance, le communiste Traube, le socialiste de gauche Jerzy Neuding,
l'intellectuel Linder. Les agents qui renseignaient la Gestapo
s'appelaient entre autres Kohn, Heller, Diamand. Le mouvement
clandestin n'était pas toujours très vigilant. Le Bloc antifasciste reçut
ainsi de sérieux coups. L'activité politique
baissa nettement après le 18 avril. En mai, les méthodes de l'ennemi
devinrent plus bestiales. Le Tribunal d'exception de Varsovie, le tribunal
dit de la Sipo (Sicherheitspolitzei), condamna 187 Juifs à mort. La Gestapo
menaça de fusiller les gérants d'immeubles et leurs familles si lesdits
gérants ne dénonçaient pas les résistants qui se cachaient dans les maisons
qu'ils administraient. La nuit, les massacres recommencèrent. Des vieillards
furent précipités des étages supérieurs sur le pavé. Les hitlériens prirent
prétexte de lutter contre la spéculation pour tuer des innocents. Le 30 mai,
à la suite d'une dénonciation commise par le dénommé
Kisielev, un ancien garde-blanc, André Szmidt, Adam Meretik et David Wlosko,
étaient arrêtés à l'angle des rues Gesia et Zamenhof : ils allaient remettre
aux camarades du P.P.R. travaillant du côté « aryen » une imprimerie
entièrement équipée. Szmidt frappa un agent de la Gestapo et prit la fuite.
Il fut rattrapé et emmené à Pawiak où il fut fusillé après avoir été
atrocement torturé. Mérétik et Wlosko furent probablement fusillés (page 62)
à Palmir. Le dénonciateur Kisielev fut exécuté par la Garde populaire dans
son propre domicile rue Zielna.
La section du ghetto du P.P.R. et le Bloc antifasciste furent éprouvés par la disparition de leurs trois grands militants. Lewartowski en souffrit beaucoup. Il se jeta avec une ardeur redoublée dans le travail d'organisation.
Les mois se suivaient et se ressemblaient et chaque mois nouveau apportait sa moisson nouvelle nouvelle d' arrestations, d' exécutions, d' assassinats. A tout seigneur, tout honneur: c' est aux militants du P.P.R. qu' allaient d' abord les soucis des S.S. et de la Gestapo. Les intellectuels n' étaient pas épargnés et cela suffisait pour leur valoir les fourches patibulaires. C' est à ce moment de la bataille que périt le metteur en scène Henri Szaro. Le mois de juin vit les gendarmes allemands s' installer en permanence sur les toits, devant les portes des immeubles, aux portes de la ville infernale: ils veillaient, surveillaient, visaient et tuaient très souvent pour se distraire, très souvent pour passer le temps et toujours pour ajouter une forme de terreur à une autre; toujours pour faire peser sur leur domaine la présence et l' incertitude de la mort, de cette mort dont ils étaient les maîtres dispensateurs.
Les mêmes gendarmes se travestirent en Juifs et en plein jour ils accomplir leur "pacifications". Ils s' efforcèrent surtout d' isoler le ghetto car leur muraille, en fin de compte, n' était qu' illusoire: elle n' avait pas empêché les contacts, les liaisons utiles entre les hommes des deux côtés. Et de là vint la peur des S.S., la peur de leurs maîtres du Grand Quartier général allemand. Ils essaieront de fuir devant leur peur en usant de terreur accrue. Coups de feu partout. A Bobice, sous Varsovie, pour avoir soi-disant désobéi aux autorités, 110 Juifs sont passés par les armes. Révoltes contre les rafles ? (63) Bagarres dans les tramways ? Le commissaire Auerswald écume de colère :
Les Juifs s'opposent aux ordres de la police ou se livrent à des actes de violence ... On continuera à appliquer tous les moyens de répression ...
Et il frappe dur. Et il vise juste. Le Bloc antifasciste, touché, s' affaiblit. (page 64)
CHAPITRE V
On l' a vu dans le premier chapitre: les plans concernant la déportation des Juifs de Varsovie vers les camps de la mort ont probablement été élaborés avant le déclenchement de l' agression contre l' Union soviétique au cours du séjour que Keitel et Frank firent à Varsovie en avril 1941. Il furent définitivement arrêtés en juillet 1942 par Himmler, qui décréta la liquidation du ghetto de Varsovie en tant que principale agglomération de Juifs en Europe; les forces de police rendues disponibles seraient ensuite dirigées contre la résistance polonaise qu' il s' agissait d' anéantir par des représailles massives. Car cette résistance polonaise devenait de plus en plus menaçante au moment où, sur le front oriental, les choses commençaient à prendre mauvaise tournure pour les envahisseurs hitlériens. Les décisions prises, d' ailleurs, s' inscrivaient tout normalement dans le plan d' extermination depuis longtemps prémédité.
Au Gouvernement général, l' action à entreprendre porta un nom. Elle s' appela l' opération Reinhardt, en souvenir du bourreau de la Bohême, Reinhardt Heydrich, que les patriotes tchèques avaient exécuté. Deux temps étaient prévus: d' abord déporter les Juifs dans les camps de la mort; ensuite confisquer leurs biens. (page 65)
Des groupes spéciaux d' anéantissement (Vernichtungskommando) furent mis sur pied; ils étaient composés de S.S. allemands et, entre autres bandits de renégats ukrainiens et lettons.
Le ghetto cessa de dépendre des autorités administratives occupantes et passa sous l' autorité de la police de sécurité. À la tête de celle-ci fut placé le colonel Ferdinand von Sammern-Frankenegg, avocat de profession et, pour les besoins de la guerre, Oberfürer des S.S.
Odil Glebecnik fut désigné pour diriger l' opération Reinhardt : c' était le chef S.S. qui avait sévi jusque-là dans le district de Lublin. Il envoya aussitôt à Varsovie une équipe spéciale de liquidation commandée par le sturmbannführer Herman Hoefle, un homme qui avait toujours accompli toutes ses tâches à l' entière satisfaction du reichsführer des S.S.
Le 22 juillet 1942, tout ce monde entra en action sachant bien que, vu l' importance militaire de Varsovie, Himmler et l' État-major lui-même d' Hitler observaient le déroulement de l' affaire. Du 22 juillet au 13 septembre 1942, 300.000 habitants du ghetto furent tués sur place ou déportés à Treblinka. Des rafles furent opérées dans les villages autour de Varsovie, ce qui porta le nombre de victimes à 400.000. Les prisonniers, les mendiants, les réfugiés, les orphelins, les Juifs transportés d' Allemagne furent les premiers touchés; uis ce fut le tour de la population "régulière" du ghetto, à commencer par celle qui ne travaillait pas dans les "shopes". Dans le même temps, dans le secteur "aryen" avaient lieu des rafles plus fréquentes.
Le Comité varsovien du P.P.R. estima que seule la lutte armée freinerait et arrêterait l' activité criminelle des hitlériens. Il valait mieux entreprendre une lutte inégale plutôt que d' aller passivement à la mort. Il fallait donc agir. Telles furent en substance les instructions (page 66) communiquées aux camarades du ghetto. Un appel fut rédigé qui parut dans la presse clandestine du P.P.R. et de la Garde populaire: se défendre contre la déportation, organiser des sorties armées, préconiser la résistance individuelle et yè aider : dans cette lutte certains périront, mais des mliliiers de personnes seront sauvées. Il était demandé à la population et plus particulièrement aux paysans de secourir les Juifs évadés.
Les socialistes de gauche firent eux aussi entendre leur voix:
Devant le monde entier, nous condamnons les crimes d' Hitler... Devant le monde entier, nous protestons contre les cruautés hitlériennes d' Auschwitz, d' Anin, de Lublin, de Zgierz, de Dachau, de Mauthausen ...
Le P.P.R. comprenait cependant que seule l' ouverture du second front pourrait sauver de l' anéantissement des millions d' êtres humains. On savait de quoi les hitlériens étaient capables. Après les Juifs, ce serait au tour des Polonais d' être décimés. La Tribune de la Liberté finissait par ce cri un article du 15 août 1942:
Au nom de ceux qui sont martyrisés dans les prisons et dans les camps, au nom des ouvriers polon,ais pourant de faim, au nom de la nation tout entière, nous exigeons le second front.
Dès les premiers jours de l' action liquidatrice, le P.P.R. avait provoqué une réunion à laquelle assistèrent tous les délégués des groupements clandestins du ghetto, y compris les représentants des milieux religieux. A cette réunion, qui se tint 41, rue Gesia, le P.P.R., pour des raisons de sécurité, figurait sous le nom d' organisation de gauche (Lewica Zwiazkowa). Lewartowski y soutint la nécessité d' organiser l' autodéfense. Il proposa d' attaquer la police du ghetto et de donner l' assaut aux portes (page 67) du ghetto. Il proposa aussi d' organiser les masses, de les amener à forcer les murailles et à passer du côté "aryen". Les actions qu' ils préconisait auraient eu, entre autres, l' avantage d' entraîner à la lutte des masses pus grandes de patriotes polonais.
Qui ne vient pas avec nous, avait conclu Lewartowski, aura perdu toute chance de se battre.
L' intervention de Lewarstowski avait fait une impression extraordinaire et elle fut comprise par les éléments de gauche de la jeunesse du Hachomer et du Halutz (1). Mais les chefs sionistes religieux et les militants de droite du Bund rejetèrent les propositions qui leur étaient faites: vivant sous l'influence du Judenrat, ils continuaient à penser qu'une partie du ghetto se sauverait aux dépens de l' autre.
Lewartowski quitta la réunion, très attristé. Peu de temps après, il tombait en combattant comme tombèrent aussi d' autres militants du bloc antifasciste : Joseph Kaplan, Samuel Breslaw, Zelzer. Les militants du Bloc antifasciste avaient été les seuls à appeler à la population à donner l' assaut aux murs du ghetto comme ils avaient été les seuls à se battre.
Le Comité varsovien du P.P.R. ne disposait alors que de deux révolvers.
Il en fit parvenir un au Bloc antifasciste qui décida que la première balle serait destiné au commandant de la police du ghetto, Joseph Szerinski, qui aidait activement les hitlériens dans leur oeuvre d' extermination.
Le 17 août, des affiches furent apposées où était dressé l' acte d' accusation de la direction, des officiers et des fonctionnaires de la police du ghetto.
1. Halutz ou Hehalutz: groupement sioniste de gauche, les pionniers.
(page 68)
Le 25 août, le combattant Israël Kanal, du groupe Akiba, se rendit au domicile de Szerinski et tira sur le traître qui ne fut que blessé à un bras. La condamation à mort fut maintenue. Sur des tracts répandus dans les rues, on lisait: "Au chien une mort de chien".
Avec le coup de feu de Kanal, le climat changea. Les gens qui,jusqu'à lors, n' avaient vu dans les tracts appelant à la résistance qu' une provocation hitlérienne, commencèrent à croire à la lutte. Il bénissaient la main vengeresse du peuple.
Les antifascistes lancèrent un appel :
Tout Juif sait aujourd'hui quel sort attend les déportés... Juifs, aidez-vous. Occupez-vous des enfants. Aidez les "illégaux". Déclarons une guerre à mort aux traîtres, aux collaborateurs. Boycottez la police. Ne la croyez pas. Méfiez-vous de la trahison. Résistez en masse.
Nous sommes tous des soldats du même front. Nous devons tenir pour châtier ceux qui ont martyrisé nos frères et nos sœurs, nos enfants et nos parents. Nous vengerons tous ceux qui sont tombés dans la bataille pour la liberté et la dignité humaine.
À Varsovie, le P.P.R. tentait par tous les moyens de se procurer des armes. Après le coup de feu de Kanal, il pouvait néanmoins envoyer un deuxième câdeau: neuf révolers et cinq grenades. Mais cet envoi n' arriva jamais à destination: l' agent de liaison Reginka qui avait été chargée du transport tomba dans les mains de la Gestapo.
Ces faits prouvèrent néanmoins qu' il était possible de se procurer des armes.
Aidé par des camarades polonais, l' agent de liaison Jurek put acheter dans la partie "aryenne" de Varsovie 50 grenades et des explosifs. (page 69)
On continuait à expliquer aux masses le vrai sens de la déportation. Des publications clandestines décrivaient les horreurs de Treblinka. On en était à la deuxième quinzaine d' août.
Des dépôts de matières premières furent incendiés. Le 16 août fut marqué par le plus grand incendie que Varsovie eût jamais connu.
La décision fut prise de fabriquer des armes automatiques.
On fit des collectes pour pouvoir envoyer un détachement de partisans au maquis. Des inscriptions couvrirent les murs: "Honte à la police d' ordre : elle a assassiné plus de 200.000 de nos compatriotes.".
La Tribune de la Liberté caractérisait en trois phrases brèves l' esprit de la lutte qui avait succédé à la passivité et à la résigation:
A Varsovie, dans de nombreux cas, des maisons entières se défendent contre la déportation et la mort.. A Varsovie et dans d' autres villes, la jeunesse juive rompt les barrages de la police... De nombreux Juifs luttent désormais dans les rangs des partisans...
Les actes individuels de défense se multiplient. On a retenu ceux qui ont eu pour théâtre les rues Panska, Twarda, Nalewski.
Devant le bâtiment du Centos 1, un groupe de Juifs attaque la police d' ordre au moment où celle-ci effectue une rafle. Rue Wolynska, les gens qu' on veut arrêter se défendent et mettent la police en fuite. Ces dans ces combats contre la police que tmbèrent deux membres actifs du Bloc antifasciste, Aron Kohn et Léon Grynberg. Sur la place Stawki, au moment où l' on embarque (page 70) dans les wagons de la mort, c' est la communiste Rosa Rozenfeld qui appelle à la révolte, dirige la lutte et réussit à faire passer les rescapés dans le secteur "aryen" pour y chercher des armes, leur dit-elle. Le combattant Nutkiewicz, la chanteuse Marysia Aïsenstadt résistent jusque devant les wagons: leurs noms deviennent populaires.
1 Centos: Assistance sociale aux orphelins.
Tous ces faits aident à faire comprendre à la
population qu'elle ne doit pas répondre aux ordres d'appel, qu'elle doit se
soustraire aux rafles, qu'elle doit se cacher; 488 personnes ont été tuées
du 22 au 31 juillet, 4.517 au cours du mois d'août, 2.648 du 6 au 12
septembre: des malades, des vieillards, des imprudents qui, dans les
rues, s' étaient offerts comme cibles aux hitlériens, mais surtout des
hommes et des femmes qui résistèrent à la déportation jusqu' à la mort. Le lecteur a le droit de se demander comment tous les
détails cités dans ce livre ont pu être retenus, comment la vie du ghetto a
pu ainsi franchir les murailles de l' anéantissement et surmonter le silence
des fours crématoires. Il y a mille façons de résister a l'asservissement et
toutes sont également dangereuses. Il ne doit pas être fait de différence
entre celui qui diffuse un journal clandestin et celui qui se bat dans un
maquis. Leur action et leurs risques ne sont différents qu' en apparence.
Tout acte de résistance est nécessaire et peut également conduire à la mort. Dans le ghetto, certains avaient tout de suite pensé
qu'un témoignage devait demeurer par-delà l'extermination. Devant les portes
de la mort, tout geste humain, toute parole devaient être notés pour qu' ils
survivent et qu' ils accusent et pour qu' ils servent de leçon. À ce grand
travail minutieux et plein d' abnégation, l' historien Emmanuel Ringelbum s'
était entièrement consacré entouré de collaborateurs comme Simon Huberband,
(page 71) Jehuda Feld et d' autres.
Autre document : 1944